par Françoise Housty, Juriste et médiatrice judiciaire, Présidente de DACCORD
&
Pierrette Aufière, avocat Honoraire et médiatrice judiciaire cofondatrice de DACCORD
Le développement du recours judiciaire à la médiation, comme le souhait affiché en ce sens par les professionnels du droit et de la médiation invitent à une réflexion plus approfondie pour un toilettage efficient des textes régissant ou accompagnant la pratique judiciaire de la médiation.
La nécessité se fait d’autant plus pressante que la Cour de cassation est aujourd’hui saisie de manière répétée pour interpréter, ajuster, compléter les textes traitant de la médiation judiciaire dont en première ligne les textes du code de procédure civile.
Dans un arrêt du 5 avril 2023 (Soc., 5 avr. 2023, n° 21-25.323), la Cour de cassation a considéré comme irrecevable le pourvoi ainsi formalisé dans les conditions suivantes rappelées dans le corps de la décision :« 1°/ que le juge saisi d’un litige peut, après avoir recueilli l’accord des parties, désigner une tierce personne afin d’entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose ; que l’accord des parties, nécessaire à la mise en œuvre d’une médiation judiciaire, s’étend à l’identité du médiateur, de sorte que le juge ne peut désigner un autre médiateur que celui sur lequel les parties se sont accordées ; qu’en l’espèce, par un arrêt du 2 septembre 2021, la cour d’appel a ordonné une médiation entre les parties et désignait Mme [I] en qualité de médiatrice, alors que la société et la salariée s’étaient entendues pour désigner Mme [X] en cette qualité ; qu’en mettant l’affaire en délibéré et condamnant en conséquence l’employeur à verser à la salariée diverses sommes au titre de son licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse, alors que l’échec de la médiation était due au non-respect par le juge de l’accord des parties sur l’identité de la médiatrice, la cour d’appel a violé l’article 131-1 du code de procédure civile ; »
À l’heure du lancement de la politique de l’amiable et du renouvellement des listes des médiateurs de justice auprès des cours d’appel, cet arrêt réactive l’actualité de la question du choix du médiateur par le juge.
Car la motivation du rejet de la demande par la Cour de cassation ne porte pas sur le point crucial ainsi soulevé du choix du médiateur par le juge mais uniquement sur la qualification spécifique et la nature d’une telle décision de désignation de médiateur par voie judiciaire.
Selon sa motivation :
« 4. Il résulte des articles 131-1 et 537 du code de procédure civile que la décision d’ordonner une médiation judiciaire, qui ne peut s’exécuter qu’avec le consentement des parties, est une mesure d’administration judiciaire non susceptible d’appel ni de pourvoi en cassation.
5. Le moyen dirigé contre cette mesure d’administration judiciaire est en conséquence irrecevable en sa première branche et dénué de portée pour le surplus ».
Cet arrêt sans surprise, respectueux des dispositions légales, suscite de nombreuses interrogations quant à la position des juges d’appel, et ne résout en rien l’incidence du choix du médiateur, par les parties ou par le juge, de la prévalence du choix fait par les parties ou du choix fait par le juge, sous l’unique réserve du contrôle protecteur des conditions relevant de l’article 131-5 du code de procédure civile, créé par le décret n° 96-652 du 22 juillet 1996 et sans modification depuis l’origine.
Au-delà et surtout, cela renvoie à la question essentielle d’articulation entre la procédure pendante et l’ouverture d’un processus de médiation judiciaire en ces temps de volonté de limiter la lice judiciaire en remettant le justiciable au sein de la justice.
La procédure civile et son regard juridique devrait-elle prédominer sur la logique du mode amiable, au risque de créer de nouveaux contentieux ?
Ou le temps est-il venu de penser la médiation au sein du système judiciaire en accordant à celle-ci la priorité des valeurs de coopération qu’elle anime ?
1. Une question déjà ancienne
Cette question traitée dès 2003, lors de la première édition du 6 décembre du « Guide de la médiation familiale » [1], dans un chapitre spécifiquement intitulé par l’auteure « Le choix du médiateur familial » ainsi développé :
« …Les formulations adaptées à la perception « volontariste » de la médiation familiale sont : proposition et désignation sur accord des parties. »
Ici étaient reproduits les articles spécifiques de la loi 95-125 du 8 février 1995 et le décret n°96-652 du 22 juillet 1996
« En médiation conventionnelle, le choix du médiateur est évidemment à la totale initiative des parties. ….. »
« ….L’article 131-5 du décret du 22 juillet 1996 est le texte légal qui réglemente le choix du médiateur par un Juge (tout type de médiateur, pas forcément familial). Dans cet article, le « quatrièmement » vise la notion de formation appropriée.
Art. 131-5. – La personne physique qui assure l’exécution de la mesure de médiation doit satisfaire aux conditions suivantes :
1° Ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation, d’une incapacité ou d’une déchéance mentionnées sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire.
2° N’avoir pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d’agrément ou d’autorisation.
3° Posséder, par l’exercice présent ou passé d’une activité, la qualification requise eu égard à la nature du litige.
4° Justifier, selon le cas, d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation.
5° Présenter les garanties d’indépendance nécessaires à l’exercice de la médiation.
Cette façon de désigner le médiateur est-elle respectée par le milieu judiciaire ?
Dans le droit fil de la prédominance et de l’autonomie reconnue par l’esprit du texte, les parties devraient logiquement choisir le médiateur familial qui sera désigné par le magistrat, sur leur demande ou sur sa proposition.
L’esprit de la loi du 8 février 1995 prône constamment l’accord des parties, notamment pour :
la mise en place de la médiation familiale (article 21) ; sans être dupe de la très forte « incitation » provenant du magistrat ;
la prise en charge du coût de la médiation déterminée par les parties elles-mêmes (articles 22 et 22-2) ;
la poursuite de la médiation (articles 21-1à 21-5).
Dès lors l’accord des parties pour le choix du médiateur devrait aussi être privilégié (sous réserve que le médiateur familial remplisse toutes les conditions de l’article 131-5 du décret et celles relatives au diplôme de médiateur familial ou à la VAE).
Cependant le « réflexe professionnel » des magistrats de détenir la responsabilité et la prérogative de dire qui sera le service ou les personnes réalisant une mesure préconisée (enquête sociale, expertise…), amène à désigner le médiateur familial directement, en imposant souvent ce choix au couple.
Cette habitude est confortée par la méconnaissance de la médiation familiale par les justiciables (et des médiateurs familiaux dont ils pourraient demander la nomination au magistrat). Il appartient donc aux parties de faire prévaloir l’esprit de la loi en indiquant le nom du médiateur familial dont elles demandent la désignation. »
Depuis 2003 et malgré les avancées évolutions législatives et réglementaires en faveur du développement de la médiation dans le cadre judiciaire, aucun texte ne vient éclaircir l’épreuve du choix du médiateur.
2. Une question a débattre collégialement
En d’autres termes, le choix du médiateur peut-il être considéré comme relevant en priorité de la volonté des personnes sinon des parties dans le cadre judiciaire ?
Le choix du médiateur appartient-il exclusivement à la voie judiciaire par la voix du magistrat ?
Ou ne pourrait-on combiner la proposition de médiation par le juge recueillant l’accord de tous d’entrer en médiation, chaque partie ayant alors libre choix du médiateur ou préférant s’en remettre à sa désignation par le juge ?
Dans le premier cas, l’implication active requise des personnes en médiation est ainsi initiée dès une entente sur le nom d’un médiateur ou d’une médiatrice.
Dans le second, cette désignation d’un médiateur choisi par le magistrat, relevant d’une mesure d’administration judiciaire, tel qu’analysée par la Cour de cassation, ne pourra alors être l’objet que d’un refus d’entamer la médiation judiciaire ou du non versement de la provision entre les mains du médiateur conduisant à la caducité de la mesure.
Mais surtout, cela renvoie à la prédominance sinon la prépondérance du regard juridique sur un mode amiable de résolution des litiges, en en suscitant de nouveaux, générant un contexte quasi schizophrénique de contentieux sur la volonté de cesser le contentieux par le canal de la médiation.
Situation alors paradoxale comme en l’espèce où la demande découlait pourtant de manière concordante des parties et de leur accord mutuel sur le nom du médiateur… répondant ainsi aux fondamentaux de la médiation reposant entièrement sur le consentement éclairé, la responsabilisation et l’autonomie des personnes.
Dans un article publié dans la Gazette du Palais[2] Madame Rohartmessager et Monsieur Vert, tous deux magistrats, tout en évoquant le rôle majeur du magistrat pour le développement, si ce n’est l’acculturation à la médiation, dans l’espace judiciaire, semblaient cependant considérer qu’il appartenait au seul juge de désigner le médiateur (aux termes de l’art. 131-1 c. pr. civ.).
Cinq années se sont depuis écoulées avec en acquis, une structuration dans la visibilité de médiateurs dits judiciaires sous l’impulsion de l’instauration de la liste des médiateurs inscrits près les cours d’appel.
On connaît cependant les affres rencontrées par les critères propres à la candidature à cette inscription et le nombre d’arrêts de la Cour de cassation sur l’impossibilité pour les magistrats saisis de ne pas déborder des termes du décret n° 2017-1457 du 9 octobre 2017 relatif à la liste des médiateurs auprès de la cour d’appel.
À cet égard le décret n°2021-95 du 29 janvier 2021 portant modification des décrets n° 2017-1457 du 9 octobre 2017 relatif à la liste des médiateurs auprès de la cour d’appel et n° -1089 du 25 octobre 2019 relatif à la certification des services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage, s’il a modifié quelque peu les termes du texte initial quant aux contrôles afférents, n’a pas cependant apporté des nouveautés fondamentales à ce texte.
Si ces textes peuvent drainer une plus grande professionnalisation, ce que réclame au demeurant les associations de médiateurs sérieuses offrant à leurs membres des formations continues et organisant des analyses de pratiques et/ou supervision, la question propre à la désignation n’est toujours pas sanctionnée.
Cette question est intrinsèquement chevillée à la nécessaire confiance entre les magistrats et les praticiens commis par eux en toutes matières, la qualité et l’expérience de ces derniers ayant bien souvent déjà été constatées tant par les parties que par le milieu judiciaire.
Cependant, et à l’aune de ce besoin de sécurité, l’indépendance de la médiation ne saurait en souffrir. Si les personnes ont elles-mêmes déjà accordées leur confiance à un médiateur, ceci devrait être pris en considération par le magistrat, lequel ne saurait que solliciter auprès des parties l’information utile à l’application de l’article 131-5 du code de procédure civile, s’il en souhaitait la vérification factuelle.
Or entre ces deux possibilités ne faudrait-il pas distinguer deux notions : la notion de « désignation » et la notion de « nomination » qui semblent se confondre dans la pratique et le regard des magistrats tant elles apparaissent comme des synonymes.
En la matière, pourrait-on établir une hiérarchie de langage entre la « désignation » du médiateur en tant que praticien de ce mode amiable, chargé de remplir la mission afférente au processus de médiation, et la « nomination » de ce dernier en tant que personne physique ou association ?
Ceci rétablirait chacun dans son rôle, sinon sa place par rapport à la médiation, le juge désignant un médiateur pour remplir cette fonction, et les personnes demandant le médiateur de leur choix pour accomplir sa prestation.
Ce d’autant que les textes épars en la matière ne portent pas une véritable cohérence. Ainsi, l’initiative du choix du médiateur reste ouverte pour ce qui est des personnes morales à qui la médiation peut être confiée : le nom de la personne physique assurant la médiation étant simplement soumis à l’agrément du juge (C. pr. civ., art. 131-4).
Peut-on en déduire que le filtre du représentant légal de l’association de médiation apporterait une garantie supplémentaire au regard du magistrat, plus pertinent alors que celui des parties et/ou de leurs avocats dans le choix du nom du médiateur personne physique dont la désignation serait proposée au magistrat ?
Or, depuis l’analyse anticipatrice de 2003 et rappelé ci-avant, aujourd’hui encore les seuls repères pour les justiciables sur la compétence du médiateur sont :
- l’inscription ou non sur la liste des médiateurs de justice auprès des cours d’appel ;
- les quelques renseignements sur la détention ou non (le plus souvent dans les annuaires des associations affiliantes), d’un diplôme ou d’une certification (formation longue ou courte dispensées par des universités ou des organismes divers) ou de la détention du DEMF ou VAE.
Quand bien même et en osant pousser le trait, peut-on s’interroger sur le bien-fondé de l’analyse de la Cour de cassation quant à la mesure « d’administration judiciaire » causant le rejet de ladite Cour. Force est de constater le nombre de ses décisions successives en la matière de médiation judiciaire dont l’objet est centré sur les conditions de sa mise en pratique. Ces jurisprudences finiraient-elles malencontreusement à malmener la médiation et les personnes ?
Il ne resterait à celles-ci comme porte de sortie de cet imbroglio juridique que de procéder par l’option de la médiation conventionnelle, les parties restant toutefois soumises, pour ce qui est du calendrier de procédure, à la décision toujours discrétionnaire du magistrat, que ce soit pour un renvoi à une date d’audience sur le fond postérieure à la médiation ou à une prochaine mise en état pour en suivre le déroulé.
Au fil des années des législations, des réglementations, des jurisprudences, des attitudes de certains partenaires, nous pensons que la médiation gagnerait dans son essence, son fonctionnement, ses résultats à reprendre son indépendance d’origine.
À cette origine, la motivation alors conforme à son esprit, était bien le besoin de déjudiciariser pour favoriser l’espace de responsabilisation et d’imagination au bénéfice des personnes souhaitant, une fois leur conflit résolu par elles avec le concours du médiateur, que le droit demeure et devienne la finalisation sociale de leurs décisions.
Penser l’amiable ne peut se faire sans penser la médiation qui intrinsèquement ne peut se départir du médiateur qui est et qui demeurera le garant du processus amiable.
[1] « Guide de la médiation familiale : étape par étape » Pierrette AUFIERE – Edition Eres – dernière édition 15 sept 2017
[2] « Le choix du médiateur par le juge » par Isabelle ROHART[2]MESSAGER Conseillère à la cour d’appel de Paris et Fabrice VERT Premier vice-président du TJ de Paris, vice-président du Groupement Européen des Magistrats pour la Médiation, section France – Gazette du Palis- 18 décembre 2018 – n°44- p13